La Bresse Bourguignonne vue par Lucette Desvignes, 1985

publié le 29 novembre 2017 (modifié le 27 janvier 2019)

« Des bandes de gaze traversaient la route devant lui, et quand le cheval se mit à trotter Francis eut même l’impression qu’elles s’écartaient plus vite, comme si elles avaient peur de cette voiture unique sur ce chemin désert. En travers, d’un talus à l’autre ; mais aussi quand on se tournait sur le côté on pouvait voir la même chose. Des vrais morceaux d’étoffe légère, des lambeaux de robe de mariée tellement c’était blanc. Ça traînassait mollement, ça s’accrochait partout, aux branches, aux buissons, comme si ça n’avait plus de force maintenant, que ça ne se soutenait plus, qu’il lui fallait un support, n’importe lequel. En tout cas, ça circulait. Les espaces se faisaient plus grands entre les débris d’ouate, on pouvait apercevoir des choses. Pas le paysage, bien sûr ; il faudrait même encore un bout de temps avant de savoir où on se trouvait ; c’était facile de suivre la route, mais ça ne disait guère où on en était. Non, rien de reconnaissable pour se guider. Tout de même on voyait le talus, le fossé, les haies – ici de l’épine noire, là de la viorne, là des érables champêtres plantés à touche touche ; plus loin c’était de la ronce - il ne fallait pas trop demander ce qui se trouvait au-delà. Même curieux, le regard se perdait dans une épaisseur qui ne se laissait pas traverser – des fois un ormeau qui sortait de terre au mitan d’un pacage, comme s’il venait d’apparaître, avec encore des traînées de blanc autour du tronc, une vraie bogue que ça lui faisait, comme à un champignon. Quand la première ferme se montra, c’était bon signe, on allait vers le mieux ».

Lucette Desvignes, Les nœuds d’argile, Mazarine, 1985