Le Morvan Oriental vu par Luc Hopneau, 1974

publié le 29 novembre 2017 (modifié le 27 janvier 2019)

« La colonne prit bientôt la direction d’Uchon, cette vieille montagne du sud du Morvan où les pierres à légendes sont autant de tables d’autels celtiques face au sanctuaire de Bibracte, autant de belvédères face aux monts d’Auvergne repaire de l’ennemi héréditaire des Éduens.
Le chemin musardait d’abord au milieu des embouches et des boqueteaux d’acacias, puis il contournait des chaules, des bois de châtaigniers, avant d’attaquer la montée entre deux bouchures épaisses ou s’entremêlaient les chevaux de frise des églantiers et les palissades des noisetiers.
De nos jours les haies sont condamnées… commentait tristement l’abbé. Elles sont d’un entretien pénible ; et puis elles occupent un espace inutilement…Pourtant, leur rôle est essentiel pour maintenir la flore et la faune, le microclimat même du pays. On doit se protéger contre ce Morvan d’où ne vient « ni bon vent ni bonnes gens » … disait l’aumônier en souriant.
- Vous tenez là des propos de Bressan riposta vivement le docteur. Mon feu confrère Bogros, de Château-Chinon, a pourtant écrit de fort jolies choses sur ce pays. Par exemple ceci « C’est une terre de granit recouverte de chênes où se plaisent la bruyère, ce rhododendron de nos Alpes miniatures, le genêt, cette fleur d’or de la lande… ». Hein, l’abbé, qu’est-ce-que vous dites de cela ? N’y a-t-il plus de poésie là-dedans que dans votre pays plat de noues, de marécages et de turquis des environs de Louhans ?…
Bogros a raison, renchérit Ligneux. Le Morvan a longtemps chauffé Paris grâce au flottage de ses bois sur la Cure ; il a nourri les enfants abandonnés de la capitale au sein de nos payses. Il fournissait même en 1870, selon de Chambure, six mille brins de houx annuels, dont les deux tiers partaient en Angleterre pour assurer la fabrication des fouets d’autobus. De nos jours encore, il exporte chaque année un million de sapins de Noël !…
C’est bien là le malheur… rétorqua l’aumônier. Autrefois et depuis des siècles, Messieurs, ici, au premier mai, on plaçait à la porte des filles vertueuses un hêtre verdoyant orné de rubans et de fleurs… C’était l’hymne du renouveau, l’aubade de l’amour… Cela n’avait rien à voir avec les coutumes anglo-saxonnes…
Le chemin montait maintenant sous les couverts pour gravir la « montagne noire ». A travers les feuillus, en longeant les étangs sombres et les ruisseaux bavardant en patois sur le granite, il ne faisait pas de doute qu’on abordait un terroir orignal où le chant de la pie, le cri de la chouette, le hurlement du chien, sont encore de nos jours présages funestes.
Bientôt au détour de la route presque étranglée par les fougères, l’horizon s’ouvrait sur la lande couverte de genêts. En quelques tours de roues, les voyageurs arrivaient au signal d’Uchon. Après l’envoûtement de la forêt druidique, voici la brise du pays des Carnutes véhiculant des senteurs de bruyère et de buis.
 »

Luc Hopneau, Sur les pas de Sacrovir, résistant éduen, Éditions Bourgogne-Rhône-Alpes, 1974