Les Vallées du Clunisois et la Côte Chalonnaise vues par Fracisque Parn, 1914

publié le 29 novembre 2017 (modifié le 27 janvier 2019)

« Autour d’eux, les sommets s’éclairaient : Brancion, avec ses ruines et sa tour de légende ; la roche d’Aujoux, nue et grise, Saint-Romain, avec sa ferme blanche, Uxelles et son château. En arrière, de l’autre côté de la Grosne, les mamelons de Saint-Gengoux restaient encore noyés dans la brume. Du fond des vallées commençaient à monter les bruits, non pas la rumeur vague et oppressante des villes, qui semble la plainte immense d’une foule maudissant son labeur, mais des bruits distincts et reconnaissables : abois de chiens dans les villages, chants des coqs dans les fermes, angélus dans les clochers, sons rauques des trompes de bouviers, tintements de campanes pendues au cou des vaches. Tout cela se croisait, se répondait, s’éteignait un instant ou renaître plus clair et plus fort, comme les strophes alternées d’un hymne au matin triomphant. Puis le soleil, dépassant la tour de Brancion, illumina toute la campagne, qui apparut enfin dans sa beauté souveraine.

Car ce coin de Bourgogne est comme un jardin arrosé d’eaux vives. Il y a tant de prunelliers et d’aubépines le long des chemins, tant de haies autour des pâtis, tant de saules au bord des ruisseaux et des mares, que le pays, vu d’un peu haut, paraît presque tout entier caché sous un manteau de ramures. Et cela serait peut-être monotone, trop touffu, trop couvert, sans les peupliers, hauts et sveltes, qui de partout jaillissent. Les peupliers sont le caractère et comme l’âme même du sol. Grâce à eux, la campagne s’anime, se « peuple », - c’est peut-être de là que vient leur nom – et tous les méandres des ruisseaux, toutes les courbes des chemins s’enlèvent en reliefs vigoureux. Isolés comme des sentinelles guetteuses, ou massés en groupes bruissants, ou alignés en longues filles parallèles, ils érigent de toutes parts vers le ciel le geste direct de leur mince fût rectiligne, qu’un vert panache couronne. Ou encore, feuillus et pyramidaux, ils font songer à ces cyprès qui parsèment la campagne florentine, et la ressemblance est encore accrue par l’aspect des collines d’alentour, qui semblent avoir emprunté à celles de la Toscane leurs courbes molles et arrondies, d’une harmonie presque voluptueuse  ».

Fracisque Parn, Sicoutrou, pêcheur, Calmann Lévy, 1914