Des représentations paysagères fédérées par l’identité bourguignonne
À la faible identification du département de la Saône-et-Loire 1 répond celle de ses paysages. Émanation à sa création en 1791 d’un découpage de la province historique de Bourgogne en 4 départements (Côte-d’Or, Nièvre, Saône-et-Loire, Yonne), le département dont les limites sont en partie indifférentes à celles des paysages et qui manque d’un véritable centre, reste fondu dans cet ensemble bourguignon qui impose de puissantes représentations géographiques, culturelles et historiques.
Mais une fois dépassée cette référence à la fois positive et globalisante, les caractères des paysages « entre Saône et Loire » peuvent mieux s’appréhender. Au travers notamment des nombreux sites exceptionnels qui le parsèment, de thématiques culturelles fortes comme l’art roman ou le vin, et de ses nombreuses régions naturelles et agricoles (Morvan, Saône, Mâconnais, Chalonnais, Charolais, Brionnais, Bresse…) porteuses d’identités spécifiques et d’images de paysages de qualité.
La référence Bourguignonne
« La Bourgogne est (…) au plus haut degré une contrée politique, placée sur les routes de l’Europe. Les positions de villes, de centres féodaux, tiennent aux passages si nombreux que nous avons décrits.
La réapparition même des roches granitiques dans le Morvan et le Charolais n’interrompt guère vers l’ouest la liberté des communications. Car toute cette extrémité septentrionale du Massif Central a été étonnamment morcelée. Au cœur du Morvan, un ancien bassin permien, dont les schistes offraient aux eaux moins de résistance, subsiste : c’est le bassin d’Autun, centre de voies romaines. Entre l’Autunois et le Charolais, une dépression allongée, que signalent les plus anciennes cartes de France, partage ses eaux entre la Loire et la Saône. Entre le Charolais et le Mâconnais, des accidents géologiques ont, par effondrement, produit une sorte de golfe de plaine que sillonne la Grosne et où s’est placé Cluny. Au point où la rivière quitte les terrains primitifs et débouche parmi les calcaires, dans un horizon de prairies et de forêts la célèbre abbaye dresse ses blanches tours romanes. Avantageusement placé pour influer à la fois sur la Loire et sur la Saône, Cluny est néanmoins tout bourguignon, par les sites et les hommes. On laisse derrière soi les vieux pays retirés, les landes de genêts et bruyères où de vieilles femmes filent leur quenouille au bord des haies. Les sommets des montagnes, usées par la culture, deviennent gris et chauves ; mais sur leurs pentes s’étalent, entre des murs de pierre sèche, la grande rangée des vignobles, parsemés de fermes riantes et ouvertes, de villages, de châteaux, qui descend sans interruption jusqu’à la plaine aux hauts peupliers, dont Mâcon tient l’entrée. »Paul Vidal de la Blache, Tableau de la géographie de la France, 1908
La Bourgogne sert traditionnellement d’appui à la présentation de la Saône-et-Loire et de ses paysages. Le géographe Paul Vidal de la Blache, tout au début du XXe siècle, dans un paragraphe de son Tableau de la géographie de la France, y décrit une Bourgogne terre de passage, réduite à la seule Saône-et-Loire, sans toutefois nommer une seule fois le département. Tous les noms de lieux ou des régions naturelles sur lesquels sa démonstration est étayée sont compris dans le département.
Aujourd’hui, les documents touristiques institutionnels départementaux sont uniformément signés « designed by Bourgogne » slogan du Comité régional du tourisme de Bourgogne-Franche-Comté incluant ainsi résolument le territoire « saône-et-loirien » au sein des représentations bourguignonnes en lui faisant bénéficier de leur notoriété. 2
Il en est de même des guides et beaux livres vendus en librairie. Quand leurs collections ne distinguent simplement pas le département au sein de la région, on ne manque quasiment jamais de souligner en couverture la référence à la Bourgogne. Depuis quelques années, l’appellation « Bourgogne du sud » tout en apportant une précision géographique bienvenue et en attribuant au département les images positives de la méridionalité, tend encore à placer au second plan le nom du département, sinon à s’y substituer 3. L’exemple du dernier guide consacré au département par l’éditeur Hachette est à cet égard révélateur, la couverture ne faisant plus référence à la Saône-et-Loire, dont le nom est relégué en quatrième de couverture…
Mâconnais, Charolais, Morvan et Brionnais, régions naturelles les mieux identifiées
Des paysages de châteaux 5 et d’églises 6
Alors que la Saône-et-Loire est clairement identifiée comme un département rural et agricole, alors que les forêts et les bois sont nombreux et que les cours d’eau irriguent l’espace, ce sont les motifs patrimoniaux, architecturaux et urbains qui dominent l’iconographie.
Classiquement, les éléments patrimoniaux des paysages (châteaux et églises) sont les plus représentés. Les motifs de l’industrie (Le Creusot et Montceau-les-Mines) prennent la troisième place devant les motifs de l’eau et les représentations des paysages ruraux. Quant aux panoramas, ils sont sous-représentés par rapport aux nombreux et larges points de vues dont bénéficie le département.
Les grands emblèmes
La roche de Solutré
« Dans une Bourgogne aux reliefs aimables et arrondis, en dehors de quelques modestes falaises des vallées de l’Ouche, du Suzon ou de la Cure, l’escarpement de faille de la roche de Solutré apparaît comme une exception par sa verticalité, son caractère heurté, tranchant, sauvage. Ce bec d’aigle calcaire est couvert de broussailles et de pelouses calcicoles d’un vert pâle. Il contraste avec le paysage peigné, manucuré et civilisé des vignobles de Pouilly-Fuissé et de Mâcon-Solutré qui l’entourent et avec l’architecture soignée des maisons rurales, l’une des plus belles de France grâce à la qualité de la pierre locale et de sa couleur qui prend des teintes dorées au soleil. ».
Jean-Robert Pitte, Dictionnaire amoureux de la Bourgogne, Plon, 2015
Avec sa silhouette élancée, son crêt calcaire vertical dominant des parcelles de vignes peignées en contre-bas, la Roche de Solutré (site classé en 1909 et grand site de France en association avec Pouilly-Vergisson) est le paysage le plus emblématique de Saône-et-Loire. L’ascension rituelle qu’en faisait chaque dimanche de Pentecôte, le président de la République François Mitterrand a largement contribué à la diffusion de son image.
L’art roman
Les silhouettes des églises, abbayes, cathédrales romanes habitent littéralement les paysages de Saône-et-Loire. Ils en sont les autres emblèmes incontestés. La découverte des paysages du département passe en grande partie par celle de ce patrimoine dont les chefs-d’œuvre sont bien répartis sur le territoire. La beauté et la douceur des formes de l’architecture romane, l’art qui y est associé (sculpture, peinture) construisent des représentations paysagères emplies d’histoire et de spiritualité.
La vigne et le vin
Concentrés dans le Mâconnais et le Beaujolais, la vigne et le vin irriguent les représentations anciennes de la Saône-et-Loire. Mais l’économie viticole, vitale pour le département, induit aussi une multiplication d’images contemporaines. D’un côté, génériques du travail de la vigne et du vin, elles sont peu localisées et sans rapport direct avec les paysages ; de l’autre, localisées ou non, elles montrent des coteaux plantés de vignes, l’été, accompagnés des silhouettes des villages groupés autour de leur église, de préférence romane. Ces images sont désormais des « incontournables » des représentations départementales. D’autant que depuis 2015, une partie des « climats » c’est-à-dire les parcelles de vigne en Bourgogne, a été inscrite au Patrimoine culturel mondial de l’Humanité (Unesco) pour leur valeur universelle exceptionnelle (V.U.E). Si le périmètre de ce classement concerne essentiellement la Côte-d’Or, trois communes de Saône-et-Loire font partie de la zone « centrale » inscrite (Dezizes-lès-Maranges, Sampigny-lès-Maranges, Cheilly-lès-Maranges), un peu plus dans la zone « écrin ».
Parcelles de vignes en feuilles, silhouettes des villages groupés se détachant sur l’arrière-plan de collines cultivés : la viticulture est l’occasion de belles images de paysage.
« L’image de la Côte viticole bourguignonne est, certes marquée par ses vins et sa cuisine, que recherche un tourisme fortement développé sur un axe majeur de communication entre la Méditerranée et le nord de l’Europe. Les paysages voisins de la Bourgogne y contribuent également, car ils renvoient à cette qualité culinaire et viticole : le Charolais, l’Auxois, notamment, et leur bocage verdoyant de haies basses taillées, où paissent les bœufs blancs à la viande renommée, contribuent également à cette culture où s’allient qualité des terroirs agraires et qualité des paysages. »
Yves Luginbühl, Le paysage de la côte viticole bourguignonne, sd 7
Le bœuf et la poule
Les deux régions naturelles du Charolais et de la Bresse bénéficient d’une visibilité particulière au sein du département en raison de la notoriété de leurs productions éponymes de viande et de volailles. A l’élevage du bœuf de Charolles, qui a acquis en 2010 son appellation d’origine préservée (AOP), sont associées des images de bocage, de prairies verdoyantes, de doux reliefs cultivés… Autant d’images bucoliques et positives de paysage que viennent renforcer la présence des animaux dans les prés, synonyme du « bien manger ». La volaille de Bresse, dont l’AOC oblige l’élevage en plein air, n’a et ne produit aucune image de paysage, sinon imaginaire.
Des motifs et des paysages identitaires en manque d’images contemporaines
L’eau partout présente, mais où ?
A l’inverse de la Loire, grande oubliée des représentations, la Saône, grand axe naturel de communication, concentre un grand nombre de représentations anciennes. La plupart montrent les quais et les berges du fleuve quand il traverse Chalon-sur-Saône, Mâcon, Tournus.
De la même manière, les autres rivières sont représentées lorsqu’elles sont associées aux paysages de villes patrimoniales (Cluny et la Grosne, Paray-le-Monial et la Bourbince, Autun et la Braconne…). Ainsi, on ne trouve que de rares images des cours d’eau en campagne.
La Saône en vedette
« Elle coule [la Saône] avec une si incroyable lenteur que l’œil ne peut juger la direction de son cours. »
Jules César, la Guerre des Gaules, livre I, entre 51 et 57 av. J.C.
La Loire oubliée
La Loire dessine plus ou moins au sud-ouest la limite avec le département de l’Allier, et plus au nord avec celui de la Nièvre. Les paysages ligériens n’en sont pas moins rarissimes autant dans les représentations anciennes que contemporaines. Quelques cartes postales rendent compte de la présence du fleuve aux abords des bourgs de Digoin (à l’intersection du canal du centre et de celui de Roanne à Digoin), Bourbon-Lancy, Gilly, Saint-Aubin, Vitry…
Le fleuve qui, ici se déroule essentiellement en campagne demeure, en image, inexistant, contrairement au canal du centre qui, aujourd’hui parcouru par une voie verte, lui vole la vedette (sans pour cela offrir tellement d’images de paysages).
Bourbince, Grosne…
Le Canal du Centre
Le canal du Centre tient une bonne place dans le corpus des cartes postales anciennes. Mais leur grande majorité reste centrée sur l’ouvrage, les ports et leurs activités et les centres urbains qu’il traverse, donnant peu à voir des paysages proches.
Le bassin industriel et minier : de la glorification à l’effacement paysager 8
Le bassin industriel et minier entre Le Creusot et Montceau-les-Mines constituait autrefois une partie essentielle de l’imagerie départementale. Si l’histoire de la région ouvrière fait l’objet d’un travail de transmission important (Écomusée de Creusot-Montceau), la représentation de ses paysages a été délaissée bien avant que la désindustrialisation ne vienne les bouleverser à l’image de l’économie locale et départementale.
Un département panoramique
Les points de vue panoramiques sont particulièrement nombreux en Saône-et-Loire. Le Comité départemental du tourisme en recense plus d’une trentaine à visiter. Ce « patrimoine » exceptionnel par le nombre et par la qualité des vues est valorisé au moins depuis le XIXe siècle.
Aujourd’hui, ces belvédères naturels sont le plus souvent accompagnés de tables d’orientation ou de panneaux à vocation pédagogique, support d’une lecture des paysages départementaux.
1. « Saône-et-Loire : un nom de lieu et d’équilibre, un nom concret aux vertus géographiques, descriptif du point de vue physique… mais qui ne suffit pas à situer précisément le département ». Profil identitaire de la Saône-et-Loire, Co-managing ; département de Saône et Loire, 2012
2. Depuis 2014, les régions administratives « Bourgogne » et Franche-Comté ont été regroupées en un seul ensemble « Bourgogne-Franche-Comté ».
3. Le site Internet du Comité du tourisme de Saône-et-Loire a pour adresse : http://www.bourgogne-du-sud.com/. Cette appellation n’est cependant pas reprise explicitement sur la page d’accueil qui maintient le nom du département dans son slogan « Destination Saône-et-Loire ».
4. Jean-Robert Pitte, Dictionnaire amoureux de la Bourgogne, Plon, 2015
5. « (…) 189 châteaux allant des forteresses féodales, châteaux Renaissance aux demeures du XVII et XVIIIe, gentilhommières et châteaux du siècle dernier. » Extrait du site Internet du Comité départemental du tourisme de Saône-et-Loire « Destination Saône-et-Loire » : http://www.bourgogne-du-sud.com
6. « La spiritualité résonne plus que partout ailleurs en Saône-et-Loire. Une ferveur qui ne se dément pas depuis des siècles. La Saône-et-Loire est bénie… » Extrait du site Internet de Destination Saône-et-Loire, op. cité.
8. Le rayonnement économique et industriel du Creusot et de Montceau-les-Mines a inspiré au XIXe siècle et au début du XXe siècle nombre de photographes, dessinateurs, graveurs… Plus récemment, des peintres se sont aussi approprié ces motifs et lui ont donné une valeur particulière en le reliant intimement à l’histoire humaine et artistique de cette partie du département. Ces aspects sont développés dans les articles…